En guise de bio...

Je pioche mes personnages chez les Toutl'monde (voisins des Untels). Je tisse, diffuse, entrave, dénoue, redresse, envoie valser… C'est fou ce qu'ils veulent dire. Je termine, mets en ligne, en chapitre, en page, visite l'amie artiste peintre, emporte en partant une esquisse inspirée de nos divagations...  Je prends à charge toute la logistique, correction, imprimeur, code barre à 13 chiffres, dépôt obligatoire… Certains connaissent la suite...

La suite… Ensuite j'affronte le plus gaillardement possible "The book's institutions", libraires compris... et les grands critiques qui au nom de l'amitié n'ont pas leur langue dans leur poche! Savoir satisfaire toutes les vanités est un art.

C'est que je fais dans le hors-piste, j'emprunte l'itinéraire bis de l'écriture. C'est un aspect du livre impardonnable.

Hors piste, on ne vit pas la même chose. On est un peu en "Bio". L'envie se lit dans chaque mot. On en a mis en place une sorte de vente directe. Certes on perd du temps, on s'égare des circuits conventionnels, des salons où il faut émarger. Après les lettres, on creuse les chiffres, on se frotte à la question économique parce qu'on a placé toutes ses économies, justement, pour son cent imprimé. 

Mes textes se rapprochent du théâtre. Mes descriptions sont des scénographies. Il m'arrive d'emprunter la langue du cinéma : plongée, contre-plongée, bruits off... Ici l'animation d'un port, d'un marché, d'un bistrot... là un brin de zique, pas trop, juste pour le plaisir de la langue universelle... L'élément anthropologique... Aussi la tentation de l'éclairage... Peut-être que j'écris parce que je ne sais pas dessiner, peindre, faire un film. Je serre mes personnages avec l'obstination de la chercheuse, ils sont tout près de moi... Ils sont vous. Jamais quelqu'un ne s'est passionné autant pour ce détail de vous... Ce détail extravagant, curieux, singulier, à peine visible. Parce que pour le déceler, il faut vous avoir côtoyé, il faut avoir marché à côté de vous, s'être oubliée un peu, avoir vu avec vos yeux - Depardon avait cette obligeance - s'être arrêté soudain, sans craindre d'être entraînée par... J'aime à bavarder et interrompre brusquement le flux des mots. Basculer dans le silence, par surprise, pour voir ce qu'on y trouve... dans ce silence... Pour voir ce qui s'écrit sur ce sable-là.

Vous avez dit iconoclaste ?

Pour les avoir infiltrés un temps, les milieux culturels, arts du spectacle compris, ont des cloisons étanches. Les familles y sont identifiées. Qu'y ferait une iconoclaste non pucée ?

À six ans je me projetais en écrivaine, actrice, et disait vouloir vivre au milieu des poules et des lapins… Dur, mais j'ai pas lâché la mignonne menotte. J'ai coché partout. Anarchiquement. La colère propulse, les écorchures dispersent, l'amitié répare, mais c'est encore le rire qui nous replace sur le bon strapontin. Rions donc de nous-mêmes, soyons des créatifs séditieux, des indociles du format, soyons curieux en tout, subversifs, critiques, et encore curieux. Sachons discerner les foutages de gueule, les supercheries institutionnelles, et l'encouragement, voire le compliment sincère. Soyons dans ce grand bordel culturel, chacune et chacun, une infime et indispensable partie de la diversité ! Vive les écrivains édi-dotés, les fauchés, les pugnaces anonymes et les grands prix capés de rouge, vive les auteurs auto-publiés, les mégalos, les débutants et les robins de la plume, vive l'écriture plurielle, vive le livre, le cahier, le post-it... le cinéma, le théâtre, la zique et la libre parole !

Ajustements...

       Les écrivains édités - forcément, j'en croise - sont, ont été, ils le disent avec des faux airs navrés, nègres, négresses d'un politicien en campagne, d'une femme de, d'un ministre pressé... Un gagne pain comme un autre, un tremplin, avouent-ils avec cet air cabot qu'on aime leur voir. Les plus passionnés d'entre eux mènent sur le tard des ateliers d'écriture dans leur lieu de vie d'écrivain adoubé, parfois le plus sincèrement possible, ce qui est déjà un tour de force au vu de l'égo. 

D'autres, têtes de gondole du moment, affairistes communicants, prêtent leur nom et leur réussite aux plateformes en ligne. Grands littérateurs et pédagogues dans l'âme - il faut bien diversifier ses revenus - ils se prêtent au jeu du marketing. La clientèle diversement motivée se presse : scribouillages maladroits, névroses d'échecs, syndromes de l'imposteur, quêtes de validation, sentiments d'illégitimité, besoins de se rassurer... Vous accumuleriez dix années pleines de travail acharné avec eux que vous n'auriez pour eux ni nom ni visage. Car ne rêvez pas. Ou alors rêvez mieux. C'est vôtre orgueil qu'ils veulent, votre ignorance des codes et vos deniers qui vont avec. On vous sera reconnaissant non pour votre œuvre, mais pour vos sous... Les sous, nerfs de la guerre... et le monde on le sait va si mal.

Un petit tour de foire parmi les offres qui vous garantissent la sortie de votre best-seller : 

- 10 minutes par jour de coaching à distance pour vous aider à accoucher du "livre que vous n'avez jamais osé écrire" (et tenterez d'écrire à condition de sacrifices en carte bleue  et de persévérance toujours en carte bleue...). Prix déterminé selon votre envie de réussir et sorties littéraires des dits coaches. 

- Entretien inoubliable avec Monsieur "Luimêmequis'adresseàvoustrèssimplement" auteur que l'on ne présente plus: 100€ la minute... 

- Une semaine d'immersion "écrire encore et malgré tout, à dos de chameau, d'éléphant, d'autruche, de yack"... compter 1800€ à 3600€ selon l'aimable figuration autochtone... 

- Un stage nocturne pour laisser libre cours à sa puissance imaginative, 300€ (venir avec son cubi et sa chicha) transport, hébergement et repas en sus.

- un séjour de méditation et remobilisation cognitive, blablabla... pour atteindre enfin la canopée vertigineuse de votre talent 1500€, le coût comprend l'apport des amphétamines, la fourniture papier et un comprimé contre le mal des hauteurs...

Toute cette offre, c'est beau comme une piscine au mois d'août, tentant comme un jerricane en plein désert.


En guise de bio...