Alice
Alice
<< Encore une centaine de jours avant la retraite ! >>, fait Alice d'un sourire navré. Elle hésite, calcule et recalcule mentalement. Assises dans le salon jonché de menus souvenirs, nous attendons l'exact décompte. <<Cent deux jours en retranchant le reliquat de RTT et de congés...>> Silence. Elle reprend plus doucement : << Les aides de l'état sont livrées par petits bouts, presque au cas par cas... Il faut faire un travail de proximité, aider à comprendre et remplir les dossiers... Je ne sais pas comment ils vont faire... Tous ces agriculteurs... Qui sera assez formé pour les informer... ça change tout le temps... Ils ne savent même pas ce dont ils ont droit, et quand ils savent ils prennent pas le temps... La paperasse ça les dépasse...>> Pour conclure : << ... les rares exploitations agricoles qui s'en sortent à peu près sont celles qui ont inclus la filière de vente en circuits courts... >> Quand Alice s'en va, elle n'a pas été avare d'explications étayées. Une mine de bon sens. Elle m'a raconté ses dernières années d'employée administrative à la Chambre d'Agriculture, son impression d'être indispensable pour quelques uns... et d'une manière globale, tellement inutile. Un peu comme un moussaillon affecté à l'écopage d'un Titanic et qui dénicherait pour une poignée d'affolés deux trois gilets de sauvetage. Elle s'en va comme elle est venue, en voisine vigilante, le pas hésitant, le dos cassé comme sous une charge trop lourde, le visage encore étonné des questions que je lui ai posées, étonné de mon intérêt marqué pour un boulot fastidieux, invisible, étonné que ces grands gaillards pleins de colère au volant de leur tracteur à cinq zéros ne se révoltent qu'un mois par an pour s'en remettre, le reste du temps, dans les mains du marché qui les étrangle.