L'inconnue de Kéragan

30/09/2024

Elle doit avoir 80, 90 ans. Nous la croisons sur la plage du Fort Bloqué. Un vent tiède de fin d'été fait sortir tout ce qui s'apparente à la voile. Tandis qu'elle vient vers nous, nous la voyons soudain s'affaler, surement déséquilibrée par les galets nombreux qui affleurent. Nous courons. Mon amie lui tend une main, que la dame ne refuse pas. Elle se redresse péniblement, vérifie, membre à membre, que tout fonctionne. Elle nous regarde sans sembler nous voir, comme à travers le filtre de son embarras. Elle a quelque chose de feu Bettencourt sur son tard, ce sourire d'une mélancolie élégante teintée de confusion. Jusque là elle n'a rien dit. Soudain elle nous tourne le dos et demande si elle est mouillée. Son pantalon clair de joli facture est légèrement humide. Comprenant la question sous la question je la rassure : << un peu mouillé, mais rien qui soit ambigu >>. Rassurée elle s'en va. Son pas désorienté l'éloigne vers le sable lisse et brillant que noie déjà la prochaine marée. Nous la voyons à contre jour, presque à reflet, qui va au hasard, mince et frêle, avançant par à coup selon la force du vent, et je jurerais l'avoir vu déployer ses bras maigres, les agiter doucement, et les lisser comme pour leur ôter un dernier sable avant l'envol.